MONA OZOUF dans Composition française....
...ouvrage paru chez Gallimard en 2009 consacre de nombreuses pages à ses souvenirs d'enfance à l'école de Plouha. J'ai relevé ce passage qui trouve sa place dans ce blog.
"(...)De ce classement, qui me paraissait si naturel, le procès global intenté à l'école dans les années 70 devait faire la pire des mystifications. L'école, disaient alors ses détracteurs, feint de croire qu'en entrant dans la classe tous les écoliers, en dépit de leur bagage culturel, sont égaux, pour mieux faire voyager, intactes, les inégalités héritées. Rien n'était plus étranger aux croyances de mon école primaire que ce procès: elle nous assurait que nous étions les filles de nos seuls mérites et de notre seul travail, si bien que le classement était pour nous le véritable instrument de l'égalité.
Ainsi s'explique encore l'indifférence que montrait l'école à nos singularités. Je ne sais si nos maîtresses avaient lu Alain, et justifiaient comme lui le fait de ne jamais s'attacher aux différences semées chez nous par la nature, l'hérédité ou le statut social: évoqer la lune, le soleil, les saisons était, disait-il, le moyen de faire que "celui qui n'a pas de chaussettes se sente citoyen". Comme lui, elles aimaient parler de "ce qui est à tout le monde" et n'évoquaient jamais nos particularités, individuelles ou collectives. Etait-ce pour elles la manière de s'assurer que nul ne pût, dans la classe se sentir méprisé? Ou plutôt en raison de la menace que cette évocation aurait fait peser sur la croyance égalitaire? (...)"